Source article : https://c.lalsace.fr/edition-mulhouse-thann/2020/01/10/nicolas-boidevezi-garde-le-cap
Le Mulhousien et navigateur professionnel Nicolas Boidevézi a raté le départ du dernier Vendée Globe mais espère s’aligner sur la Route du Rhum en 2022. Devenu membre de la Société des explorateurs français, il partage sa vie entre courses au large et expéditions. En escale à Mulhouse, il se confie avant de repartir à Lorient.
Par 10 janv. 2020 à 19:00 | mis à jour à 12:35 – Temps de lecture : 5 min
–Nicolas Boidevézi, lors de notre dernière rencontre, vous veniez d’acheter un bateau pour participer au Vendée Globe 2016 sous les couleurs de l’Alsace. Et finalement, le projet est tombé à l’eau…
Oui, on avait le bateau mais au final il nous manquait 800 000 euros. J’avais les institutionnels qui me disaient : « si les entreprises y vont, on y va », et les entreprises qui me disaient « si la Région y va, on y va ». Au final, personne n’a fait le premier pas et j’ai revendu le bateau. Pour moi, ce n’est pas un échec car j’ai beaucoup appris. Et j’ai une fierté, c’est de ne pas avoir perdu un centime. De ne pas avoir planté un fournisseur ou un sponsor.
Est-ce qu’il vous reste le regret de ne pas avoir réussi à fédérer les énergies alsaciennes pour vous accompagner dans votre tour du monde à la voile ?
Ce qui me gêne, c’est d’entendre des hommes politiques dire : « En Alsace, on est des pionniers, on est audacieux ». Mais quand tu viens avec un projet audacieux et fédérateur en leur disant, « venez là où personne ne vous attend, sur l’eau, pour faire naviguer la marque Alsace partout dans le monde » eh bien tu n’as plus personne ! Ça, des promesses… Pourtant on sait que la voile en compétition, c’est le meilleur retour sur investissement possible. Il y a cinq ans, je suis venu avec un projet autour des valeurs environnementales et énergétiques fortes. Aujourd’hui ce sont des problématiques encore plus d’actualité. Et je crois toujours que même pour des entités non-maritimes, c’est important d’aller sur la mer, sur ce terrain de jeu immense. Mais je ne vais pas baisser les bras parce que trois boîtes alsaciennes m’ont dit l’océan c’est trop loin. Pourquoi les Suisses qui n’ont pas de frontières maritimes ont investi et gagné la Coupe de l’America ?
Quand vous voyez le Crédit Mutuel s’investir dans la voile avec un marin parisien en Classe 40, vous l’Alsacien, de Mulhouse, licencié au Cercle de voile de Reiningue , ça doit quand même vous « gratter » un peu…
Avec le Crédit Mutuel, on s’est couru après pendant cinq ans. C’est clairement un rendez-vous raté… Mais je préfère positiver et dire : « Regardez, le Crédit Mutuel se lance dans la voile. Ça prouve que c’est un très bon vecteur de communication. » Et proposer mon projet.
Vous ne visez pas le Vendée Globe qui repart en 2020 mais la Route du Rhum en 2022…
Entre le Vendée Globe 2016 et l’édition 2020, les budgets ont doublé. Aujourd’hui, mon objectif est d’être au départ de la Route du Rhum en Classe 40 (NDLR : bateau dont la longueur est de 40 pieds soit 12,19 m) en 2022 et pour jouer la gagne. C’est un budget de 400 000 € par an. En 2020, construction du bateau, en 2021, courses promotionnelles et Transat Jacques Vabre et en 2022, courses promotionnelles puis Route du Rhum.
Justement, pourquoi investir une telle somme dans votre futur bateau ?
Mais parce que c’est en matière de retour sur investissement, le sport le plus pertinent. Ça fait dix ans que je dis que la voile, c’est cohérent avec les problématiques environnementales. La voile est un sport propre qui fonctionne avec une énergie naturelle et nos technologies de course sont régulièrement réinvesties dans le quotidien. Sur un bateau tu apprends à vivre avec ce que tu as embarqué à bord, à économiser tes ressources.
Skipper professionnel, vous repartez à Lorient qui est votre base. C’est quoi votre quotidien ?
Depuis 2016, il y a eu de nombreuses courses en équipage, comme la Québec-Saint-Malo comme skipper coach, la Transatlantic Anniversary Regatta en équipage en 2018, la Rolex Fastnet Race en équipage en 2019 que l’ on a gagné en Class40. Et puis il y a mes activités de consulting, de team building, et surtout des expéditions à destination des particuliers, dans les fjords, en Norvège, partout. Je peux organiser une navigation de deux jours pour aller voir le Cap Lizard comme une expédition de plusieurs semaines en Alaska. Je m’adapte aux demandes pour faire vivre des expériences uniques à des personnes, dans un cadre ultra-sécurisé.
Vous qui êtes sur l’eau 200 jours par an, qui passez votre vie en mer ou en montagne, quel regard portez-vous sur le changement climatique ?
Sur les océans ou en montagne, on est des observateurs privilégiés sur les nouveaux phénomènes climatiques. Et ce que je vois c’est qu’il y a clairement moins de mammifères et d’oiseaux marins. Ça fait bientôt 20 ans que je navigue et la situation s’est vraiment dégradée. Et ça concerne tout le monde. Quand un gosse jette un papier dans la rivière à Mulhouse, ça se retrouve dans les océans. Vous voyez, l’océan n’est pas si loin de Mulhouse ! Pour le coup, je me réjouis que la Ville s’intéresse enfin à la problématique de l’eau à travers le projet Mulhouse-diagonales.
PLUS Toute l’actualité de Nicolas Boidevézi sur le site www.nicoboidevezi.com.
Cercle prestigieux
Depuis le mois de juin 2019, le Mulhousien Nicolas Boidevézi qui a notamment relié en 2017 l’Alaska au Japon via le Kamtchatka et exploré les îles Kouriles sur les traces de Vitus Behring fait partie de la prestigieuse Société des explorateurs français (SEF). Créée en 1937 par des explorateurs de renom, la SEF regroupe des personnalités aux parcours « extra-ordinaires » au sens propre du terme. Ses membres dédient leur vie à l’exploration, à la découverte sous toutes ses formes et à la transmission des savoirs. Au sein de cette institution se côtoient scientifiques, écrivains-voyageurs, journalistes, aventuriers, photographes, réalisateurs ou diplomates. « C’est vraiment quelque chose dont je suis très fier. C’est un endroit où se sont retrouvés des gens comme Théodore Monod, Jacques-Yves Cousteau, Eric Tabarly ou Katia et Maurice Krafft. Et aujourd’hui on y trouve des gens comme Bertrand Piccard, Sylvain Tesson, Isabelle Autissier… Je sais qu’il y a Philippe Frey (NDLR : ethnologue strasbourgeois) mais je ne crois pas que l’on soit beaucoup d’Alsaciens à faire partie de cette société. »
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